DÉMARCHE DÉTAILLÉE

Durant les trente dernières années, 50 % des toiles vendues dans le monde ont été réalisées à partir de l’acrylique. On estime à environ 30 % sa présence dans les collections de peintures modernes et contemporaines des musées*.

Ma recherche artistique est née d’une interrogation sur le médium lui-même. Comment accepter qu’un matériau synthétique, issu de l’industrie pétrochimique et dont la stabilité à long terme est incertaine*, serve à dénoncer l’inertie de nos dirigeants face à la crise écologique ? Cette incohérence, ignorée par les pontifes de l’art contemporain, n’a fait que renforcer ma conviction et m’a conduit vers d’autres médiums.

La difficulté est un vecteur d’évolution. Inspiré par Aurobindo, j’ai compris que ce qui n’est pas résolu ouvre la voie à la transformation. J’ai alors travaillé la tempera et l’encaustique, multipliant les expriences pour éprouver la matière comme moyen d’expression. Ces explorations m’ont aussi amené à revisiter les trois genres picturaux traditionnels — portrait, nature morte, paysage — comme autant de terrains d’épreuve pour comprendre les qualités et les contraintes propres à chaque médium.

En parallèle, ma réflexion s’est ouverte aux grands débats théoriques de l’histoire de l’art. J’ai découvert avec étonnement que Picasso, le peintre le plus influent du XX siècle, s’opposait fermement à l’abstraction — alors même que ce mouvement allait marquer son époque. Cette contradiction m’a conduit à Wilhelm Worringer, brillant défenseur de l’abstraction, dont l’essai Abstraktion und Einfühlung m’a passionné. Worringer fissurait l’édifice des cubistes, dont l’un des plus ardents défenseurs, Kahnweiler, riposta, sa vie durant, par ses écrits. La découverte de ce conflit a mis le feu à mes recherches. Celles-ci m’ont révélé l’esthétique comme science de la forme et, surtout, m’ont ouvert la voie au prédécesseur de Worringer, Alois Riegl, dont les écrits m’ont profondément marqué.

Pour Riegl, une erreur indéracinable accompagne l’histoire des arts plastiques et persiste encore aujourd’hui : on se concentre sur le « quoi » — le contenu — en négligeant le « comment » — la manière dont l’artiste travaille la matière. Plus d’un siècle après, ce constat reste valide. Aujourd’hui, l’art est valorisé lorsqu’il satisfait un besoin intellectuel ; l’objet-œuvre devient secondaire, simple prétexte pour un discours entretenu par une élite.

 

À l’opposé, Riegl affirme que l’évolution ne pourra reprendre que si l’homme retrouve le plaisir de l’excitation sensorielle — sinon, ce sera la stagnation. Le moteur de cette évolution, dit-il, est la difficulté non résolue. J’adhère pleinement à cette position. Riegl n’a pas reçu la reconnaissance qu’il mérite. Pourtant, il a vu juste. Comme dans la vie : avant de surmonter une difficulté, il faut d’abord la reconnaître ; ensuite, il faut affronter ses doutes avant d’oser une solution. À l’inverse, il est toujours plus facile de se réfugier derrière l’intellect, qui fournit mille prétextes à l’inaction.

Ne pas affronter ses doutes a des conséquences : on devient rigide, conservateur, prisonnier de ses certitudes. C’est le lot de l’art contemporain. Sous le couvert d’une liberté absolue, les œuvres exposées dans les musées du monde entier finissent par se ressembler. C’est cela, la stagnation.

Peindre, pour moi, est donc un acte de résistance :

résister à la société de consommation,

résister à la domination du concept,

résister à la confusion intellectuelle qui détourne l’art de sa fonction première —

celle d’offrir une expérience sensorielle, où la matière redonne sens au monde.

 

 

*Voir l'étude de l’Association pour la promotion du métier de restaurateur de tableaux présenté par M. Hervé Canteau, 

  http://3atp.org/nettoyage-des-peintures-acryliques-non-vernies